vendredi 29 avril 2011

Le Râleur


D'abord, des soupirs, des haussements d'épaules, des moues. Puis il fait "non" de la tête, grimace et tape le bout du cadre de sa raquette contre le sol. Il grogne. Quand il gagne un point, aucune joie, c'est normal, c'est la moindre des choses, c'est le minimum, enfin. Soudain, c'est l'explosion : la raquette valse pour de bon (il est possible qu'elle atterrisse de votre côté du court, alors gardez toujours un œil sur le râleur), ou bien il envoie une balle de toutes ses forces contre la bâche. Un cri néandertalien accompagne son défoulement.
Le problème, c'est qu'il n'est jamais soulagé par le défoulement. Car après quelques points, le cycle recommence : soupirs, moues, grognements, etc. 
Attention, je ne parle pas ici du râleur malicieux et joueur, tel que Mc Enroe. Je ne parle pas de l'expert du jeu de nerfs. Non. Ici, je décris le râleur pur jus, pure tristesse, celui pour qui le jeu n'existe plus. C'est à se demander pourquoi il joue au tennis. Car chaque match lui occasionne d'interminables douleurs  physiques et psychiques. Chaque match est un calvaire.
Cela relèverait presque du masochisme : le râleur joue au tennis alors que tout en  lui est réfractaire au jeu. Il n'aime pas le risque. Il déteste l'erreur. Il ne sait pas quoi faire du hasard ni de la chance. Dès lors, le supplice est inévitable (désiré?).
Que c'est déplaisant de jouer une partie contre un râleur... il faudrait s'approcher du filet, dire stop, allez, viens, on va picoler au club-house, fumer des clopes, on va discuter mais je t'en prie arrête.
Je me suis trompé : il existe un instant où le râleur est pleinement soulagé. Souverain, même. C'est la seconde à laquelle il décide de balancer le match. Son regard s'altère légèrement. Parfois, il a un léger sourire. Comme chez l'épileptique, la crise est précédée d'une étincelle d'euphorie et de jouissance. Mais ça ne dure pas. Même libéré de la charge du match, le râleur ne parvient pas à savourer le fait de lâcher prise : il multiplie les fautes directes, arrose le court d'erreurs volontaires, pourtant, au lieu de franchement péter les plombs et de s'en amuser, sa dérision tourne à l'aigre et son rire jaune est assommant.