Le jeu de nerfs est protéiforme. La bête aux mille yeux est en vous. Tous les joueurs n'ont pas la même façon, ni surtout le même talent pour l'amadouer. Les jeux de pouvoir, les affreux déchirements et les luttes intestines qui vous ravagent le corps durant un match ne sont pas le Mal. Pas besoin de les refouler, ni d'afficher une mine imperturbable quelque soient les obstacles qui vous assaillent. Il est déprimant de voir combien la stratégie dite du "poker face" a contaminé le gotha du tennis mondial. Plus de colères apparentes, ni de jets de raquette ni d'engueulades avec l'arbitre. De moins en moins en tout cas. De quoi nourrir de la nostalgie pour les agapes de John Mc Enroe et les clowneries de Monsour Barami.
Et nous, spectateurs qui s'ennuient en tribune, nous nous demandons si ces tennismen ne sont pas des cyborgs ou quelque avatars programmés pour le calme et le sempiternel refrain de la performance.Parfois, tout de même, le match se dérègle. De la nervosité, de l'antipathie entre les joueurs ou bien la plus banale petite erreur d'arbitrage injecte soudain une haute pression sur la rencontre. Le jeu de nerfs commence.
Et à ce petit jeu, signalons tout d'abord (nous ferons une série avec les jeux de nerfs, un cirque - ceci n'est qu'un prospectus), signalons l'avantage qu'ont certains joueurs sur d'autres, dans leur capacité à augmenter leur niveau de jeu aux moments critiques. Au lieu de perdre leurs moyens et de se déconcentrer, la pression et le conflit semblent les stimuler, presque leur plaire. Bonne nouvelle : il y a encore des tennismen qui aiment la bagarre. Et elle le leur rend bien.
Revenons à Novak Djokovic. Il fait partie de ces joueurs malicieux qui savent mettre à profit la tension pour se sublimer (Tsonga n'est pas mal non plus dans le genre). Au niveau pratique, ca donne en face de vous un type en pétard qui commet des erreurs inhabituelles, peste et donne tous les signes de l'agacement et même du découragement, mais, à l'instant où vous croyez qu'il va balancer le match, le voilà métamorphosé en un joueur rapide, précis, attentif et ultra-motivé. Comme si, une fois atteint un certain niveau d'irritation, l'énergie négative accumulée changeait de signe et remettait le joueur "dedans", encore plus fort qu'avant sa colère. Eh oui, la transmutation des valeurs n'est pas que le joujou des philosophes.