vendredi 13 mai 2011

La performance


Au tennis, on appelle "performance", ou "perf'", le fait de battre un adversaire mieux classé que vous. Après une performance, vous êtes attendu au tournant : on attend de vous une "confirmation" de la performance. Et le cycle ne s'arrête jamais. Pas de stabilité, car un sport de compétition l'assimile vite à de la médiocrité. Performance ou contre-performance, confirmation ou déception, il n'y a pas de juste milieu (certaines femmes vous diront sur le même ton que les hommes sont trop mous ou trop durs, et qu'il n'existe pas de type vraiment comme il faut, entre les deux).
Mais revenons au tennis. Ce qu'il y a d'amusant dans la performance, c'est tout d'abord de voir un joueur atteindre un niveau qu'il n'atteint pas d'habitude. Les copains en tribune diront qu'il joue chaleur, qu'il joue le plomb, qu'il est sur un nuage, qu'il est dans la zone, etc., les expressions ne manquent pas (plaisir de trouver un nom à votre jouissance...)
En plus d'un niveau de jeu exceptionnel, le joueur sur le point de faire une perf' doit tenir le coup et surmonter la peur de gagner. Quand vous avez le scalp de Nadal ou de Federer au bout de votre raquette, il est difficile de garder le bras ferme (je vous parlerai plus tard du "petit bras").
Après la balle de match, c'est l'explosion de joie, l'entourage en liesse, les dithyrambes des journalistes... des choses qu'on ne voit pas à chaque match. Et c'est là le bémol qu'il faut mettre à la performance. Car malgré ce régime d'exception et de surprise, la folie qui accompagne la perf' est aussitôt domestiquée par la projection dans l'avenir, le calcul et le goût des résultats. Le joueur garde son sérieux, parle des prochains tours, se dit qu'il a passé un cap, change de femme et d'entraîneur, prend la grosse tête puis échoue, recommence, perf' à nouveau, jure qu'on ne l'y reprendra plus et qu'il va savourer sa victoire sans penser au prochain match, mais il aura beau faire, l'engrenage est fatal : un air sérieux habite désormais son regard. Bientôt la confirmation, le gros chèque de la part des organisateurs du tournoi, les sponsors, les pubs, les émissions télé... un rêve pour un joueur inconnu qui se révèle, sans aucun doute. Mais où la folie et la gratuité du jeu ont tendance à se faire la belle... Le mot "performance" est affreux.

lundi 9 mai 2011

L'attaquant


Attention : espèce en voie de disparition. 
De moins en moins de joueurs peuvent être qualifiés d'attaquants. La faute à l'évolution démente du jeu de fond de court, démente dans le sens d'une augmentation de la puissance des coups et des capacités physiques des joueurs, dit-on. Car on pourrait imaginer que de tels bourrins de la ligne de fond créent à leur tour des monstres capables de leur résister. L'attaquant Federer a engendré la bête Nadal et maintenant, quel réponse le tennis va-t-il nous apporter?
L'attaquant, qu'il monte ou non au filet, se révèle dans sa relation au risque, au hasard, à la force et à la chance. Tandis que le rameur a pour objectif de remettre la balle dans le court une fois de plus que vous, l'attaquant n'attend pas que vous commettiez la faute, au contraire il choisit d'exécuter un coup plus risqué que les frappes habituelles de "remise" : un coup d'attaque. Soit il fait mouche, soit il rate. L'attaquant accepte de rater. Sur un match, Michael Llodra va se faire passer 5, 10, 15 fois par son adversaire, mais il continuera à jouer en se disant qu'il lui suffit de faire 6, 11, 16 volées gagnantes pour que son choix d'attaquer tienne le coup.
C'est là que l'attaquant séduit : il choisit. La faculté qu'il a de supporter l'échec dénote une force mentale, une virilité inconnue des joueurs plus prudents (rien de sexiste dans ce type de "virilité". Voyez-y  plutôt l'aptitude d'un corps à se projeter dans la matière). Un certain rapport à la chance... une distanciation amoureuse... quels coups vais-je tenter? Comment faire le point entre 3 frappes de balle? S'avancer dans le court, anticiper, prendre la balle plus tôt, couper les trajectoires, suivre le bon coup au filet, foncer vers l'avant, intercepter et surprendre  l'adversaire, et vous-même, parfois, avec la séquence inédite qui s'est déclenchée.
Vous l'aurez compris : un match avec un attaquant est moins ennuyeux que les autres. Il y a même de quoi  découvrir des coups que vous n'avez jamais vus avant. Des demi-volées d'orfèvre, des smashs de revers sautés, des amorties, des glissades, des plongeons, des chutes, des cris, des rires... du jeu, quoi. 

Passe d'armes


 Coup de tonnerre à Madrid : hier soir, Djokovic a battu Nadal sur terre battue, à la régulière, et sans perdre le moindre set. Personne n'avait réussi à vaincre le Majorquin sur cette surface depuis Söderling, en 2009, à Roland-Garros.
7/5 6/4, en un peu plus de deux heures. Pas plus. On est loin des marathons que les deux joueurs se sont déjà livrés, et que Nadal gagnait toujours. Hier, le patron sur le court, c'était Djokovic. Plus puissant, plus rapide, plus agressif (on notera sa faculté de couper les trajectoires côté revers), il a très vite privé Nadal de solution. Un peu émoussé, celui-ci gardait le visage fermé et la tête basse, hormis quelques sursauts taurins dont il a le secret.
Depuis Miami et Indian Wells, le Serbe a pris un ascendant psychologique sur l'Espagnol. C'est sensible dans tous les moments clés : Nadal a beau être encore le numéro 1 mondial, on voit que le challenger, c'est lui. On sent que Djokovic le contrôle et qu'il a même un peu de marge.
Mais parlons du jeu. Il y a deux secteurs qui ont permis au Serbe de gagner hier. D'abord le retour de service, puisque le slice de Nadal ne l'a jamais vraiment gêné. Le Djoker retournait long et fort, ce qui empêchait Nadal de prendre le jeu en coup droit comme à son habitude.
Mais le véritable hic est que même quand Nadal prenait le jeu en coup droit, il ne s'en sortait pas. C'est quoi, le jeu de Nadal sur terre? Il bastonne le revers de son adversaire avec de grandes gifles de coup droit. Personne ne tient le rythme. Sauf Djokovic. Le Serbe a un revers à deux mains qui pourrait même faire rougir Andy Murray. Bien loin de craquer, le Serbe acceptait le défi dans la diagonale et c'est lui, avec son revers, qui étouffait le coup droit de l'Espagnol. Comment? Avec une longueur de balle hallucinante (et vitale sur cette surface) ainsi qu'une capacité à varier le moment de la prise de balle et les trajectoires. On ne sait pas où va partir un revers du Djoker. Croisé court, long de ligne? Vous le découvrez, médusé, quand la balle sort de sa raquette. Il n'est même pas possible de savoir s'il va faire un shop ou bien s'il va recouvrir la balle. Un cauchemar.
Quand les échanges duraient, c'est Nadal qui cédait le premier. Lui, le roi du rallye, pris à son propre jeu! Quand Söderling a réussi l'exploit de battre le Majorquin, c'était avec un jeu d'attaque à outrance, un service impeccable et un refus radical d'entretenir l'échange. Sa tactique était de ne surtout pas rentrer dans la filière de son adversaire. Djokovic, lui, accepte le mano a mano des très longs échanges. Et il tient. Même physiquement, le secteur où l'on pensait que personne ne pourrait aller chercher Nadal, le Serbe dégage plus de force et montre une endurance à toute épreuve. Le fait qu'il ait battu l'Espagnol en jouant dans la filière de celui-ci augmente encore le prestige de sa victoire.
Et les inquiétudes de Nadal pour la suite. Car, oui, c'est officiel, nous allons avoir un Roland-Garros palpitant, comme nous n'en avons pas eu depuis longtemps. A Paris, les conditions seront plus favorables à Nadal : le court est plus lent qu'à Madrid, et grand ouvert au vent. Pas sûr que Djokovic puisse rallier la finale...